Financement innovant de l’éducation : mobiliser des ressources pour transformer l’apprentissage des enfants et des jeunes en Afrique
En réponse à l’état critique de l’éducation en Afrique subsaharienne – où plus de 30 % des enfants en âge d’être scolarisés ne le sont pas et où neuf enfants sur dix ne peuvent pas lire ni comprendre un texte simple à l’âge de dix ans – l’Union africaine (UA) a déclaré 2024 comme « Année de l'éducation » afin de mobiliser les efforts pour atteindre l’Objectif de développement durable (ODD) 4. L’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA) s’associe à Education Finance Network (Réseau pour le financement de l’éducation) afin de mettre en lumière des solutions prometteuses pour relever ces défis, y compris l’utilisation de mécanismes de financement novateurs dans l’éducation.
Dans le cadre de sa feuille de route pour « Année de l'éducation », l’UA a mis l’accent sur la nécessité d’un « financement durable accru et d’un investissement systématique dans l’éducation ». Selon Education Finance Watch 2023 : Special edition for the African Union Year of Education 2024, les dépenses moyennes des gouvernements africains pour l’éducation en pourcentage du PIB ont stagné à 3,7 % depuis 2012, et l’aide à l’éducation en Afrique subsaharienne a chuté de 23 % entre 2020 et 2021. Il est donc urgent de trouver des sources supplémentaires et des stratégies de financement plus efficaces, y compris par le biais d’un financement innovant.
Qu’est-ce que le financement innovant dans l’éducation ?
Le terme « financement innovant » est large et englobe un large éventail de modèles de financement, notamment le financement mixte, l’échanges de créances, les garanties, le financement basé sur les résultats (y compris les obligations à impact et d’autres mécanismes de financement basés sur les résultats), et les partenariats public-privé (PPP).
Ces mécanismes visent non seulement à mobiliser des fonds supplémentaires et à exploiter de nouvelles sources de financement, mais aussi à transformer le secteur de l’éducation en mobilisant davantage de ressources nationales, en utilisant l’aide au développement de manière plus efficace, en encourageant l’innovation et en améliorant les performances.
Quelles sont les données relatives au financement innovant dans l’éducation ?
Une étude récente menée par l’ADEA au Kenya, au Rwanda et en Gambie fournit des informations précieuses sur l’état actuel et les défis des méthodes de financement innovantes relatives au développement des compétences techniques et professionnelles (DCTP). Toutefois, elle indique un manque important de preuves rigoureuses qui appuient ces méthodes. De même, l’examen de "Non-State Actors in Education: Evidence Gap Map " (Acteurs non étatiques dans l’éducation : Cartographie des lacunes de preuves) du Education Finance Network révèle que les preuves de l’impact du financement innovant dans l’éducation sont limitées et principalement centrées sur les obligations à impact1 et d’autres types de financement basés sur les résultats. Les méthodes émergentes du financement innovant, telles que les incitations à l’impact social et ‘social impact garantees (les garanties d’un impact social), n’ont pas encore fait l’objet de recherches rigoureuses.
Eclairages du groupe d’apprentissage sur le financement innovant dans l’éducation
Pour favoriser l’apprentissage autour de l’utilisation du financement innovant dans l’éducation, Education Finance Network et Education Outcomes Fund ( Fonds pour les résultats de l’éducation ont co-animé un groupe d’apprentissage en 2023-2024. Les principales conclusions de ce groupe, notamment en ce qui concerne les mécanismes de financement basé sur les résultats (en anglais Outcome Based Financing - OBF) et le financement mixte, sont les suivantes :
- Les programmes OBF peuvent produire des preuves de l’efficacité des interventions
Alors que les preuves du rapport coût-efficacité des OBF dans l’éducation soient encore émergentes, ces programmes peuvent efficacement générer et promouvoir l’utilisation de données probantes grâce à leur recours fréquents à des méthodes d’évaluation rigoureuses, telles que les essais contrôlés randomisés (ECR). Par exemple, le Sierra Leone Education Innovation Challenge est un OBF par lequel cinq partenaires différents mettent en œuvre cinq interventions éducatives uniques dans cinq lots géographiques distincts qui couvrent tous les districts du pays ; il vise à améliorer l’alphabétisme et la numératie de 134 000 enfants sur une période de trois ans. Grâce à ce dispositif, qui utilise un essai contrôlé randomisé pour mesurer les gains d’apprentissage et d’autres modèles de recherche pour identifier les mécanismes impactant l’apprentissage des élèves, le programme vise à collecter des données sur «ce qui fonctionne » pour améliorer les apprentissages au Sierra Leone. En travaillant en étroite collaboration avec le gouvernement, le programme cherche à intégrer ces résultats dans les politiques publiques, améliorant ainsi la prestation de services éducatifs.
- Faire le lien entre l’éducation et l’emploi grâce à des accords de partage des revenus
Le Future of Work Fund (FWF) utilise un modèle de financement mixte combinant des subventions philanthropiques et des financements de développement avec des capitaux privés. Géré par Chancen International, le FWF finance l’éducation tertiaire d’étudiants au Rwanda, en Afrique du Sud et au Kenya via des accords de partage des revenus (en anglais Income Share Agreements - ISA), en ciblant en particulier les femmes et les populations traditionnellement exclues. Les étudiants reçoivent un financement pour leurs études en échange d’un engagement à rembourser un pourcentage de leurs revenus au-delà d’un seuil spécifié, après l’obtention de leur diplôme.
À ce jour, la FWF a financé plus de 4 100 étudiants, dont 65 % sont des femmes, 92 % des chômeurs et 60 % des habitants de zones rurales. Le taux d’emploi des étudiants 12 mois après l’obtention de leur diplôme est supérieur à 98 %, et les diplômés du FWF gagnent cinq fois plus que la moyenne nationale.
Chancen International a commencé à mettre en place un essai contrôlé randomisé pour renforcer les preuves de son impact. Au fil du temps, il vise à créer un modèle commercial durable qui pourra être étendu, à mesure que les investisseurs reconnaîtront son potentiel de rendement financier et d’impact social.
Tirer parti des atouts des financements traditionnel et innovant
Si les mécanismes de financement innovants tels que les OBF et les financements mixtes sont prometteurs pour relever les défis du secteur de l’éducation en Afrique subsaharienne et au-delà, ils ne peuvent pas remplacer la nécessité d’un financement national robuste et d’une aide au développement traditionnelle basée sur des subventions. Les instruments de financement innovants sont encore relativement nouveaux et nécessitent des preuves supplémentaires pour déterminer leur impact et leur efficacité. Cependant, ils offrent des outils précieux pour l’expérimentation et l’innovation, en proposant de nouveaux moyens de mobiliser des ressources et d’améliorer l’efficacité des interventions.
Il est essentiel de mettre l’accent sur l’équité et l’inclusion, en particulier pour les enfants et les jeunes en situation de handicap, afin de garantir que ces approches novatrices profitent à tous les segments de la population. En tirant parti des atouts combinés des financements traditionnel et innovant, nous pouvons œuvrer vers un avenir où une éducation de qualité et pertinente sera accessible à tous.
Pour approfondir les éclairages du groupe d’apprentissage sur le financement innovant dans l’éducation, consultez les articles de blog et la vidéo suivants : Reconstituer le puzzle de la mesure : expériences de programmes de financement basé sur les résultats dans l’éducation, De nombreux chemins pour renforcer les systèmes grâce au financement basé sur les résultats, et Expériences de financement mixte dans l’éducation.
Pour une analyse détaillée des mécanismes de financement alternatifs du DCTP en Afrique, voir l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA). (2023). Mécanismes de financement alternatifs pour le développement des compétences techniques et professionnelles (DCTP) en Afrique : Le cas du Kenya, du Rwanda et de la Gambie.
- Un examen systématique des obligations à impact dans les pays à revenu faible et intermédiaire a montré qu’elles réduisent les risques financiers pour les prestataires de services, en favorisant la diversité des fournisseurs et en encourageant l’innovation. Cependant, si ces obligations atteignent les objectifs de performance, les coûts initiaux plus élevés et le manque de données comparatives avec d’autres modèles de financement signifient que leur efficacité financière reste sujette à débat.